Épine calcanéenne : faut-il s'en inquiéter ?
La douleur au talon est l'un des motifs de consultation....
La douleur au talon est l’un des motifs les plus fréquents de consultation en podologie. Parmi les diagnostics souvent évoqués, l’épine calcanéenne continue d’alimenter de nombreuses interrogations, y compris chez les professionnels de santé. Détectée à la radiographie, cette excroissance osseuse située sous le calcanéus, au niveau du talon, est souvent associée à l’aponévrosite plantaire. Mais ce lien de cause à effet est-il aussi évident qu’il n’y paraît ?
Une théorie historique longtemps dominante
Pendant longtemps, on a pensé que l’épine calcanéenne résultait d’une traction excessive du fascia plantaire, un tissu fibreux tendu sous la plante du pied, entraînant une inflammation chronique à son point d’ancrage sur le talon. Cette inflammation répétée provoquerait alors une réaction osseuse formant une sorte de pointe, ou épine. Si cette théorie reste largement répandue dans l’imaginaire collectif, la recherche scientifique contemporaine apporte des éléments beaucoup plus nuancés.
Une prévalence élevée, souvent asymptomatique
Les données disponibles révèlent que les épines calcanéennes sont loin d’être rares. Entre 11 et 27 % de la population en présenterait une, sans pour autant ressentir de douleur.
Étude fondatrice de 1965
Une étude remontant à 1965, menée sur plus de 300 patients, conclut même que l’épine n’était jamais directement responsable des douleurs talonnières, suggérant qu’il s’agirait parfois d’un phénomène lié au vieillissement. Certaines populations sont plus concernées que d’autres : les femmes, les personnes âgées, en surpoids ou atteintes d’arthrose présentent une incidence plus élevée.
L’origine anatomique remise en question
Autre idée reçue battue en brèche par l’anatomie : l’origine même de ces épines.
Des découvertes anatomiques récentes
Contrairement à la croyance selon laquelle elles prendraient naissance dans le fascia plantaire, plusieurs dissections ont montré qu’elles se forment plutôt dans d’autres structures musculaires profondes, comme le court fléchisseur des orteils ou l’abducteur du 5eme orteil.
Pas de lien direct démontré avec le fascia plantaire
Certaines publications scientifiques vont jusqu’à affirmer qu’il n’existe aucun lien anatomique direct entre le fascia plantaire et ces épines.
Deux grandes théories pour expliquer leur formation
Deux grandes théories s’affrontent encore quant à l’origine de ce phénomène.
La théorie de traction (classique)
La première, dite de traction, reste fidèle à l’explication classique : les tissus mous qui s’insèrent sur le calcanéum exercent une tension répétée, entraînant une réponse osseuse.
La théorie de compression (plus récente)
La seconde, plus récente, repose sur une hypothèse de compression : les épines seraient une réaction adaptative à des microtraumatismes répétés, provoqués par les impacts du talon au sol, agissant comme un mécanisme de défense. Ce point de vue est conforté par les analyses histologiques, qui révèlent une orientation particulière des fibres osseuses, évoquant une réponse à la pression verticale plus qu’à la traction longitudinale.
En résumé : faut-il s’en inquiéter ?
En résumé, la présence d’une épine calcanéenne n’implique pas nécessairement une douleur. Elle est fréquente, souvent liée à l’âge ou à certains facteurs de risque comme le surpoids ou l’arthrose. Sa formation reste mal comprise, et rien ne permet d’affirmer qu’elle soit causée ou provoquée par une aponévrosite plantaire. À l’inverse, on ne peut pas non plus affirmer qu’elle en serait la conséquence directe. Dans les faits, chaque cas doit être évalué individuellement.
Que faire en cas de douleur persistante au talon ?
Si vous ressentez une douleur persistante au talon, inutile de vous alarmer à la simple mention d’une épine calcanéenne sur une radiographie. Le plus important est d’en comprendre la cause réelle, et de bénéficier d’un accompagnement adapté.
L’accompagnement podologique individualisé
Un podologue pourra vous proposer un plan de traitement personnalisé, incluant si besoin :
des semelles orthopédiques,
des exercices spécifiques,
des conseils de chaussage.
Car au-delà de l’image impressionnante que peut laisser une radiographie, la science nous rappelle qu’une épine ne fait pas forcément mal.
Bertrand BENOIT et Nicolas POULET
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